On ne peut rien écrire dans l’indifférence. - Simone de Beauvoir
Depuis des temps immémoriaux, le sel en Europe, les cauris en Afrique et les têtes de bétail un peu partout servirent de contrepartie aux biens et services que les hommes échangeaient entre eux. Les piécettes apparurent plus tard, souvent de petits silex troués. Arrivèrent ensuite les monnaies métalliques qui comme les pièces d’or avaient leur propre valeur, et ce fut monnaie courante que les échanges commerciaux se fissent en espèces sonnantes et trébuchantes. En 1685 au Canada, les colons français à court de monnaie métallique décidèrent de lui substituer une carte à jouer signée du Gouverneur qui devint l’ancêtre du billet de banque. Tout reposait sur la confiance, d’où l’appellation de monnaie fiduciaire.
Le papier commença sa carrière en Europe avec les billets à ordre des banquiers lombards au Moyen Age. Ils offraient l’avantage de ne point susciter la convoitise comme l’or. On pouvait voyager sans craindre la mise à sac par les bandits de grand chemin
Peu à peu la signature apposée au bas du billet prit de la valeur aux yeux des possesseurs de billets à ordre. Elle obligeait l’émetteur à tenir parole et à rembourser en espèces à la demande du porteur de billets. C’est au XVIIIe siècle que l’on fit battre monnaie papier avec les assignats et puis les billets de banque. Il n’était alors plus question de les rembourser Dès ce moment, le billet pût se raconter
Porté sur les fonts baptismaux par moins de trois généraux : Secrétaire, contrôleur, ou caissier
La Banque de France fut ma première adresse
Moi Bonaparte, glorieux au pont d’Arcole
Depuis que je voyage passant d’une main l’autre sans cesse
Mille fois caressé, tripoté, retourné, palpé
Glissé dans l’échancrure d’un décolleté généreux.
Blotti entre deux seins chauds et ronds
Chiffonné au fond d’une poche par des doigts poisseux aux ongles endeuillés
Coincé dans une pile de draps repassés
A l’odeur mêlé de naphtaline et de violette
Bien aplati au fond d’une boîte métallique aux anciennes effluves sucrées.
Plié en quatre sous le socle d’une pendulette
Faufilé entre lisière d’un bas et porte jarretelles
D’une belle pute aux ordres d’une mère maquerelle
Aplatie sur le zinc d’un comptoir de bistrot pas très net
Entre un ballon de rouge et un distributeur de cacahuètes
Mêlée au bataillon de la menue monnaie et des piécettes.
On m’a imité, contrefait, trimballé dans des valises vers la Suisse ou quel qu’autre paradis fiscal.
On m’a enfermé dans des coffres réputés inviolables derrière des sas de salle de coffres plus étanches qu’un sous-marin et pourtant d’habiles malfaiteurs ont su me dénicher au plus profond des sous-sols de banques
Au fil du temps, j’ai cédé ainsi la place, moi Liberté guidant le peuple en compagnie d’Eugène Delacroix et j’ai suscité tant d’envies, enrichi les uns et appauvri les autres, suivant qu’on me multiplie ou qu'on me divise.
Chose étrange que l’être humain, puisque la moitié d’un billet de 500 F que Serge Gainsbourg avait dédicacé « Merde à Bribri. » fut mise aux enchères pour plus de 6000 euros chez Sotheby's.
J’ai ainsi connu mes heures de gloire à l’étranger avec le dollar et aussi mes heures sombres avec le Reichsmark qui nécessita que les salariés allemands encore non-chômeurs prennent une valise pour toucher leur paie.
Puis je perdis mon triple zéro pour devenir dans les années 2000 l’anti- héros ou l’Euro qui fut un trait d’union entre ceux qui en Europe, avaient guerroyé des siècles durant.
On ne me prédit aucun avenir avec les cryptomonnaies qui me supplanteraient, moi le bon vieux billet passant de monnaie réelle à monnaie virtuelle, une suite de zéro et d’uns, évoluant au gré des humeurs des uns et des autres
Mais je fais confiance, c’est dans mon essence d’être, moi le billet, qui au gré des siècles ait su conquérir ma place et toujours la préserver.
Fini de se marrer pour les mareyeurs
Car voilà de retour avec la marée les chalutiers
Déjà le môle est assailli de mouettes faisant le pied de grue
Guère le temps de flâner pour les pêcheurs
Les chalutiers viennent s’amarrer le long du quai
Les caisses de poissons frais sont hissées et halées sur la jetée
Carnet en main, vingt kilos enlevez c’est pesé
Combien le merlu, plus cher que le merlan, de quoi avoir la berlue
Au tour du hareng sorti des caisses emplies de pains de glace
La lotte, elle gît au fond des paniers d’osier tressé
Les camions frigorifiques attendent prêts à charger la cargaison des navires juste accostés.
Eh venez boire un coup, entonne de sa voix haute un mareyeur d’un ton rieur
Paul et le basque aises de pouvoir en fin charger, attèlent la remorque
Et s’apprêtent à filer dare-dare à bord d’un semi de merlans frais
« Yann amarre le chalut » hèle de la proue le patron de la petite Céline
Pendant que le mousse sort c’qui reste à fond de cale et arrime c’qui comme cordes, sacs, coffres traîne sur le pont
« Gabriel, faudrait pas mettre tout ça là à l’eau, s’y a un grain »
Sais-tu que ce soir à bord on dîne ?
Gare au goulot Charles, y a de la truite à souper.
Shouper ! S’exclame-t-il avec son accent slave,
Ma j'ai rien à cuire là !
Cependant qu’à quai le routier de l’Armorique monte à bord
De son bahut encore tout ébahi de sitôt voir place nette
Mais qu’est-ce que, c’est déjà la fin de la criée
Les pêcheurs étalent leurs filets pour en réparer les mailles et les faire sécher pour la prochaine virée.
C’est atroce la trace laissée par le fric frac d’une vie.
Tout un bric à brac, là en vrac un jeu de tric trac sur le lit à baldaquin et aussi un jeu de taquin.
Des godasses vernies, un frac pour les galas et une défroque de collégien, un costume avec un pantalon à pinces.
Seigneur quel fatras ! Ça me rappelle le pont d’un frêle esquif drossé par la mer déchaînée sur les récifs après un gros grain.
Au 40ème de le Tour Montparnasse rugissant devant un tel amas, je saisis le balai brosse pour virer la crasse qui s’était amassée sur le ciel de lit du baldaquin.
Le tissu crissa sous la pression des poils de porc de la brosse. Un laveur de carreaux balançait au bout d’une nacelle ; il se hissa pour mieux essuyer les traces persistantes sur la façade miroir. De le voir ainsi, pantin accroché astiquant la glace me procura un frisson d’horreur qui me cloua sur place.
J’imaginais le monte-en-l’air qui avait fracturé ma porte sans coup férir arc-bouté sur son pied de biche et le bois qui gémissait et craquait ; ils sont vraiment fortiches ceux qui sont entrés sans anicroche et faire sauter une serrure 3 points comme une boite des sardines à l’huile.
Tentant de faire un acrostiche sans pouvoir faire place aux hémistiches, je me perds en conjectures devant une apophase.
Alexandre hein mon pote me dis-je face à une telle aventure. Tes douze pieds ne font ni le poids, ni la mesure. Tu ferais mieux de te limiter au sonnet.
Avant que du resto du 56ème étage, je ne plonge le regard vers la ville lumière à l’heure où l’on tire les rideaux et termine la soirée par le dîner d’adieu aux chandelles, elle me dit : « viens là chéri, baisse un peu l’abat-jour » et moi jouant les fiers à bras plutôt que les rabats joie, je glissai sur la moquette où elle m’avoua être un peu pompette.
Le tourbillon m’emporta, flux et reflux, marée haute et marée basse. Quoi de plus banal, dans la nuit que la lumière d’un fanal, puis le big-bang et les étoiles qui explosent dans l’espace intersidéral, la soupe originelle.
Pot au feu, soupe aux choux, les carottes sont cuites. Je me réveillai le nez dans le potage.
Elle était là, Circé ou Nausicaa pendant que je me débattais au milieu de ce foutoir. Tenter d’y mettre bon ordre, ranger ma vie, chaque objet à sa place sur une étagère, bon sang que de souvenirs accrochés à mes basques.
Elle posa un vinyl de rock sur le pick-up, au lieu de skipper un CD sur ma platine laser.
Elle s’approcha doucement en gloussant « Eh combien tu raques pour une partie de jambes en l’air ? » Et moi qui me voyait déjà en gigolpince !
C’est vrai que j’en pinçais pour cette nana, mais elle était un peu raide celle-là après le coup du monte-en-l’air. Visiblement Nausicaa ne comptait pas s’envoyer en l’air pour pas un rond ; les ronds dans l’eau ça n’était plus de son âge.
Tête en l’air, j’avais oublié ma Mastercard, alors comment lui payer le 56ème panoramique sans la voir tomber de haut. Le 7ème ciel à l’œil, elle avait déjà donné.
Là elle voulait du palpable, du sérieux : m’emmener chez Monsieur le Maire pour le pire ou le meilleur avec la bénédiction de l’Eglise pour pouvoir monter au ciel à sa guise sans être vautrée dans le péché, qu’elle me dit !
Elle ne perdait pas le Nord notre Circé ! Le sort en était jeté ; il fallait que je trouve une issue à cette satanée histoire sans quoi je pourrai bien me retrouver au 36ème dessous mine de rien. L’ensorceleuse ne me lâcherait plus ; elle m’expliqua que nous filerions le parfait amour comme Ulysse et Pénélope.
Tu parles d’un chant de sirène Mais dans quel pétrin m’étais-je fourré avec cette cocotte, belle de nuit et déjà prétendant au trône de reine de ma vie.
D’ailleurs qu’était ma vie ? Un vaste chantier cul par-dessus tête comme cette pièce où je l’avais amené pour notre tête à tête.
Le froid, l’écume des vagues par-dessus bord, les pieds qu’il ne sentait plus, les frissonnements, et dans sa tête, ces images, son petit troupeau de chèvres, le sable, les rares épineux et buissons qui poussaient avec peine sur le sol aride, et le soleil intense…et puis la soif inextinguible, le regard brouillé, Doudou délirait, recroquevillé au fond de la pirogue, ballotté, compressé au milieu de tous ces autres, et cette humidité salée qui envahissait les couvertures. Il ne sentait plus ses pieds. Comment allait-il pouvoir frapper le ballon, sans sensation, et tirer au but ? là-bas à la Juv’ de Milan ? Car c’est là que tu dois aller pour réussir lui avait dit son père Mamadou Lamine. Tu es doué en football et tu deviendras toi aussi un nouveau champion de foot !!Comme Abraham, il avait offert son fils en sacrifice au Dieu Foot, sans imaginer le calvaire qu’il allait vivre. Au lieu de réunir l’argent pour acheter le mouton de la Tabaski, il avait économisé sou par sou pour payer le passage de la traversée de Doudou vers l’Europe, là où on paierait pour aller le voir jouer dans un grand club européen. Ça lui avait coûté 250000 Francs CFA, mais comparé au salaire que ne manquerait pas de rapporter un contrat professionnel dans un grand club de foot, ça valait le coup se disait-il ! Doudou 14 ans à peine s’était laissé embarqué dans le rêve délirant de son père. Et sa mère ignorait tout de cela. Il avait commencé par se diriger vers la ville. Pour gagner un peu d’argent à Mbour, au sud de Dakar pour se nourrir, il cirait les belles chaussures des dames et Messieurs bien accoutrés. Et puis il allait se promener en bord de mer sur la petite côte de Mbour. Ses yeux s’attardaient sur ces pirogues bariolées de pêcheurs. Il les regardait debout, dans leur embarcation et arc-boutés sur leur perche qui luttaient afin de franchir la barre au risque de leur vie, ces déferlantes de l’océan dont les rouleaux venaient s’échouer sur la plage. Il rêvait à l’Europe, de l’autre côté de la mer, où l’on pouvait gagner de l’argent et s’éloigner de la misère. Ses cousins partis là-bas lui en avaient parlé, et eux pourtant n’étaient pas doués pour le foot. Son père Mamadou Lamine était persuadé que Doudou possédait le génie du football et qu’il se ferait un grand nom au sein d’un club italien, qu’il connaîtrait gloire et fortune, et qu’enfin toute la famille vivrait dans le confort sans souci des lendemains difficiles. Un soi-disant agent de joueurs lui avait promis de s’occuper de son fils, de lui trouver une place en or dans un grand club en Italie. La famille de Doudou n’est pas fortunée. Et elle rêvait du destin d’Idrissa Gueye, le Sénégalais du Paris Saint-Germain ou de de Sadio Mané, la star de Liverpool. Argent, gloire et succès. Alors le papa avait réglé la somme de 280000 francs CFA, 380 euros, pour payer les passeurs. Dans l’obscurité de la nuit, les ombres des volontaires au départ se mouvaient autour des rafiots. Après que les passeurs eurent vérifié les liasses de billets CFA froissés et tachés comme prix du passage, les ombres enjambèrent le bord de l'embarcation et prirent place comme ils pouvaient au fond du bateau avec leur baluchon. Le ressac de la mer serrait leurs tripes, mais l’espérance au cœur venait apaiser l’appréhension face à l’inconnu. Doudou, jeta un dernier regard plein de larmes vers son père dont le visage était dans la pénombre. Il aurait aimé dire au revoir à sa mère, mais Mamadou Lamine lui avait bien recommandé de ne pas parler de son départ pour ne pas peiner sa mère. Alors elle ignorait tout de son départ, et le voilà seul dans la nuit au milieu de tous ces pauvres hères accrochés à leur unique espérance, d’une vie meilleure Les voilà embarqués dans une pirogue en direction des îles Canaries, territoire espagnol, l’une des portes de l’Europe comme peut l’être l’île italienne de Lampedusa en Méditerranée. Mais au bout de six jours de navigation, la pirogue ressemble à un radeau de La Méduse. Doudou, est très affaibli, affamé, déshydraté. Il va mourir d’épuisement emportant avec lui ses rêves de gloire sur les stades. Doudou a d’abord chaud, puis très froid, il ne sent plus ses mains gelées par le froid et l’humidité. Ses sensations sont atrophiées, après la douleur vient la langueur, des images : la case familiale, sa mère qui prépare le thiéboudiène, dès les premiers rayons du soleil du matin, le visage radieux de son père, puis la nuit noire, les mines hirsutes des passeurs d’espérance ou de désespérance, le fond de la pirogue, l’eau salée, les corps pelotonnés les uns contre les autres. Perdre ses rêves si jeunes, les fracasser au fond de la mer, combien de Doudou avant lui et après lui ? Le soleil se lève et un rayon caresse le visage éteint de Doudou, comme un au revoir là-haut à tous ces rêves brisés d’un jeune garçon. Le passeur va jeter son corps par-dessus bord. Il reposera au fond des abysses parmi les poissons, sa mère le pleurera, et peu à peu le voile d l’oubli s’étendra sur la si courte vie de Doudou qui périt comme d’autres centaines d'enfants dans cette mer, le mirage d’un ailleurs de fortune qui devient cimetière des rêves.
Panne sèche, la plume s’arrête.
L’esprit s’échappe du quadrillage du bloc de bureau le regard traverse la baie vitrée ; le voilà naviguant sur l’horizon entre un nuage blanc bourgeonnant et la lisière d’une forêt au loin. Le vibrion de l’inspiration a quitté les rivages de mon cortex perdu entre axones et dendrites de la matière grise.
Plus le balancier de la comtoise égrène les secondes, métronome inflexible gardien du temps, plus ce quadrillage censé emprisonner la fragrance d’une idée jaillissante à l’ouverture du flacon devient insupportable.
Chaque carré parfait d’un demi-centimètre de côté s’ouvre à moi comme épouvante d’un abîme ; le plaisir d’écrire, je le cherche à l’intersection de ces lignes incorruptibles. Il est dur d’être soi et d’être autre.
Ce trait qui court le long de la ligne met un frein à toute velléité de l’expression, une fois écrit le mot vous échappe ; il vit sa vie tout en pleins et déliés jamais il ne vous satisfait. L’acte d’écriture est une frustration permanente, la recherche d’un ailleurs, un manque original, un fossé entre le désir et son expression qui se voudrait comblement original mais qui glisse facilement vers un bavardage outrancier.
A la peine comme Sisyphe des milliers de fois ma plume tente de retrouver l’apaisement. Cruelle illusion où la page recouverte de signes convenus ne vous apporte que déconvenue.
Chaque avancée est aussi une reculade ; la pesanteur du rocher menace de vous écraser à chaque effort et vous réduire à néant. Lorsque les lignes se mettent à danser sous les yeux rougis que la lumière du jour décline et que l’esprit s’engourdit là peut être comme un zombie, je continue de noircir ligne après ligne le stylo rageur pour étourdir encore plus ma pensée, l’assaillir, l’agonir, l’achever, et peut être surprendre dans un de ses derniers soupirs, l’éclat insoupçonné, traqué depuis l’aurore celui par qui le bonheur de l’écrivain arrive.
Chaque aube nouvelle apporte à l’écrivain la sensation du vertige devant l’œuvre à accomplir, traquer dans les moindres méandres de son cerveau la quintessence de ce qui pourrait être le chef d’œuvre de sa vie. Il le croit sinon quelle force le pousse à ainsi s’asseoir de nouveau à sa table de souffrance et se pencher sur son égo à la recherche du temps perdu de la saveur enfouie d’un émoi lointain.
Première randonnée en Calabre pour nous. Nous étions une douzaine de participants sous la « houlette » de Marc, mot tout à fait approprié à l’économie pastorale locale puisqu’il est symbole du berger. Première fois que nous tentions l’expérience d’une mixité avec 4 Italiens en plus du groupe de 8 Français que nous étions et semble-t-il à la satisfaction de tous. Une bonne occasion de parler italien, au fil des vallons habituellement plus secs que cette année et de goûter également une cuisine calabraise succulente. Nous avons eu le plaisir au sein du groupe de faire la connaissance de Bruno Leone, napolitain, maître en guarattelle, tradition ancienne des marionnettes à gaine qu’il fait revivre un peu partout dans le monde aussi bien en Europe qu’en Amérique du Sud. Les guarattelle, appellation napolitaine du théâtre de burattini (marionnettes), sont la forme traditionnelle napolitaine de théâtre de rue, réalisée avec la technique des marionnettes à gaine. Cette tradition populaire est transmise oralement depuis plus de 500 ans. Pulcinella (Polichinelle en France) personnage bien connu de la Commedia dell’arte représente un être libre qui, avec sa voix nasillarde et magique met en scène le conflit éternel du bien et du mal, du blanc et du noir de son masque. Nous avons pu apprécier le talent créatif de Bruno qui donnait vie à sa Pulcinella improvisée avec quelques bribes de bois ou d’os ramassées tout au long de nos pérégrinations. Animée par la main du guarettellaro, Pulcinella rencontre les personnages propres à ce théâtre populaire au premier rang desquels la Mort, mais aussi la Garde symbole du pouvoir. Pulcinella propose à chaque fois une dénonciation de la violence et de l’arrogance, de la peur et de la douleur, en représentant les émotions de la vie humaine où chaque spectateur se reconnaît. C’est là le secret de cette longue et vivace tradition orale qui donne à voir l’âme humaine et ses tourments en une représentation ironique et satirique. C’est la revanche du faible face au guarattelle sont comme une partition de musique dans laquelle les mouvements des marionnettes sont le rythme et les mots en sont l’harmonie, disait le maestro en guarattelle Nunzio Zampella auprès de qui Bruno Leone a travaillé. La voix nasillarde de Pulcinella est si drôle qu’elle résonne comme un jingle qui capte l’attention des passants et les enchante en scandant la narration faite par le guarattellaro.
C’était trois jours avant le printemps, alors que les fleurs ouvraient leurs pétales et que la végétation explosait, nous nous retrouvions confinés entre quatre murs en résidence surveillée pour nous garder de l’invisible menace, le coronavirus.
Reclus, le temps s’est ralenti, les rues ont été désertées, le sang de la vie s’est retiré des artères de nos villes et des artérioles de nos villages. Dans nos esprits, l’air est soudain devenu vicié alors que dehors l’horizon se dégageait de la gangue des fumées, que le ciel reprenait son éclat azur. La Nature est soudain devenue belle hors la présence de l’Homme, les animaux ont réenvahi l’espace, et nous tristes observateurs depuis nos balcons, rêvions de pouvoir marcher, courir, gambader, remplir nos poumons d’un air frais, sentir le zéphyr caresser notre visage, se sentir bien. Mais voilà la nouvelle vie promise, est celle du visage masqué, des voix étouffées derrière un bout de tissu, des mains hydro-alcoolisées qui ne se serrent plus que contre soi, des gestes barrière mécaniques, de la vie millimétrée, des longues files devant les étals du marché ou les vitrines de boutiques au rythme du mètre, celui – là même déposé au Pavillon de Sèvres, du cerveau en éveil, de la vie robotisée, étriquée. Avant de mettre le nez dehors, ma check-list de sécurité : mon visage bien masqué, mes mains bien lavées dans les poches, mon mètre bien jaugé dans la tête, mon application stop-covid téléchargée, mon autorisation de sortie bien remplie avec heures de sortie comme un détenu en semi-liberté
Me voilà prêt à décoller de ma résidence surveillée
Plus de baisers, plus d’embrassades, plus de poignées de mains, la suspicion de l’autre qui peut m’infecter, la télé qui ne parle que de ça. Perdue l’insouciance même à l’école, où les jeux d’enfants prennent de l’espace.
Finis les amants qui s’bécotent sur les bancs publics sous le regard masqué des passants, qui voudraient bien mais ne peuvent point.
Eclats de rires et tapes amicales vont-elles céder leur place devant la peur du virus qui menace ?